Mon intellect s’est dissout dans la maternité et mis au service des deux petits êtres sortis de mes entrailles et d’un grand être qu’on appelle un mari.
Il y a d’ailleurs une explication étymologique très intéressante sur ce mot de « mari », sur le site de l’Académie française, qui explique que maritus et maritare étaient d’abord employés pour l’agriculture dans le sens d’associer, unir des plantes, des arbres, puis concernant les animaux pour désigner l’animal reproducteur. On dit d’ailleurs homme, époux, mari au masculin et femme, épouse, au féminin. Il n’y a pas d’équivalent de mari au féminin.

À la naissance de ces petits êtres, j’ai perdu le goût de la lecture, de l'étude, je me suis mise à faire des choses qu'on pourrait qualifier de triviales, voire de perte de temps.
Était-ce une forme d’adaptation ? Était-ce pour survivre au cataclysme de la maternité ?
Le grand être qui vivait à mes côtés, que j’appelais mon mari, et que j'appelle maintenant mon ex-mari – le pronom possessif est resté – s’est investi dans sa carrière et m’a demandé de rester à la maison, par opposition à aller travailler, parce que c’était mieux pour les enfants.
Ce grand être ne s’est pas demandé une seconde ce qui était bien pour moi. Et moi, j’ai oublié ce qui était bien pour moi.
Après plusieurs années de luttes intérieures, de résignation, d’incapacité à mettre en avant mes intérêts réels et à me défendre devant ce grand être, j’ai choisi de reprendre ma liberté. Illusion suprême. Une mère seule avec ses deux enfants, c'est l’anti-liberté même. Toutefois, peu à peu, les années passent, les petits êtres grandissent et mon temps libre augmente.
Pendant longtemps, je ne savais pas quoi faire de ce temps libre quand les enfants allaient chez leur Papa. Ma vie me semblait totalement vide de sens quand mes enfants étaient absents. Je ne m’y faisais pas, au week-end sur deux. Il m’a fallu des années, pour ne pas avoir ces sentiments de solitude, d'inutilité, d'errance inutile qui s’abattaient sur moi quand les enfants passaient la porte d’entrée.
Et maintenant, je sors de ma nuisette et de mon lit, je prends ma voiture et je vais au cinéma, au musée, en ville ou à la montagne, chez mon amant, au club de jazz, ou j'organise une soirée raviolis-limoncello avec mes copines. Je redonne de l'élan à ma vie.
« Life is not a series of gig lamps symmetrically arranged; life is a luminous halo, a semi-transparent envelope surrounding us from the beginning of consciousness to the end. » — Virginia Woolf